#1 LA VUE
VOIR, MAIS COMMENT ?
À première vue, voir est essentiel. Seulement, avec cette coque plate et volumineuse à l’avant, réel bénéfice en termes de vitesse, ce sont des hectolitres d’eau de mer qui balaient le pont de Gitana 16, rendant la protection du marin indispensable. Sébastien passe donc le plus clair de son temps à l’abri, sous la casquette qui recouvre le poste de veille et de manœuvres, tandis que son regard peine à varier les points de vue.
« Dès que tu navigues à 20 milles au large, le bateau est sous l’eau et tu ne peux plus regarder devant, » explique-t-il. « Même si tu sors la tête, tu ne vois rien. Quitter le cockpit signifie s’exposer énormément, lutter contre les éléments et y laisser beaucoup d’influx. Cela fait partie du jeu mais tu y vas uniquement par nécessité sinon tu vis à l’intérieur ou sous la casquette. Au début, pour des questions de poids, c’était très opaque mais nous avons ajouté quelques ouvertures en plexiglass. Ainsi, je vois les voiles, le ciel, les nuages, les couchers de soleil, les grains, les oiseaux, l’horizon, les autres bateaux, etc. J’anticipe mieux et je profite de ce qui m’entoure. »
VOIR DANS LE NOIR

La vie en mer est faite de routine avec des rituels ayant leur importance. « La nuit, tu perds la vue et donc un gros repère, » poursuit-il. « Avant que le soleil ne se couche, je fais comme une photo des réglages de la journée pour que cela m’aide jusqu’au lendemain. On aime vraiment avoir de la Lune mais si c’est nuit noire, tu éclaires tes voiles, tu cherches de nouvelles réponses et tu te réfères encore plus aux chiffres sur les écrans. Tu restes aussi plus en alerte, comme un chat, paré à toute éventualité. Ce n’est donc pas forcément la nuit que tu vas dormir, en réalité tu te relâches mieux lorsque le jour se lève.
« C’est à moi de m’adapter et pas l’inverse, »
assure Sébastien Josse
VOIR LA TERRE
Pour faire le tour du monde à la voile, il faut couper toutes les longitudes du globe terrestre et le chemin habituel pour cela est celui du Grand Sud, autour de l’Antarctique. Les marins franchissent en réalité les caps de Bonne Espérance et Leeuwin à plusieurs centaines de milles au Sud de l’Afrique et de l’Australie. Voir la terre est ainsi très rare sur le Vendée Globe ce qui n’est pas un mal admet Sébastien. « Les côtes sont souvent une source d’ennuis, en raison du trafic maritime, de la houle et du vent perturbés par le relief ou des risques de collision avec des billes de bois, des containers, des cétacés. Finalement, il n’y a que le cap Horn que tu es heureux de voir et avec une émotion exceptionnelle ! »
VOIR UN CONCURRENT
Avec des bateaux aux performances toujours plus proches et des trajectoires un peu obligatoires en raison de la zone d’exclusion, il arrive que les solitaires se retrouvent à vue, bord à bord, même après plusieurs semaines de mer. « C’est bien d’avoir un concurrent sur l’écran mais je n’aime pas forcément le voir à l’œil nu, sinon, tu ne le quittes plus du regard. Tu entres dans le jeu de la régate au contact et tu te mets à courir un sprint alors que tu es en plein Ironman » confie le skipper du Gitana Team.
ET SE VOIR SOI ?
À la question, emmène-t-on un miroir sur un tour du monde ? « Oui, uniquement pour se raser, » répond Sébastien dans un premier temps. « Une fois par semaine, je m’autorise à prendre un peu soin de moi. Je prends une douche à l’eau de mer, je me dessale et mets un t-shirt propre, un peu de musique et ça me requinque ! » Sinon, on ne se regarde jamais ? « Si, quand on se cogne, pour voir si on est blessé. Et aussi quand on atteint un fort état de fatigue. Quand on ne sait plus trop où on en est, on regarde son visage, ses cernes, ses traits creusés, se voir aide à prendre conscience de son état. »
La semaine prochaine, retrouvez #2 LE TOUCHER